Les développements immobiliers se trouvent entravés par de multiples facteurs, notamment d’ordre administratif et légal. L’impact s’avère des plus prononcés, en exacerbant la pénurie de logements et l’augmentation des loyers.
En Suisse romande, le taux de vacance des biens à louer est au plus bas. A Genève, même s’il semble progresser un peu en atteignant 0,46% cette année contre 0,38% en 2022 – le plus faible historiquement –, la situation reste critique, en particulier face à l’évolution démographique prévue. D’ici à 2050, 140 000 habitants supplémentaires devraient en effet s’installer dans le canton-ville. Une dynamique qui reflète la prospérité et la croissance d’une région qui, pour maintenir ses atouts, a urgemment besoin de bâtir davantage. Le point sur ces enjeux avec Romain Lavizzari, président de l’Association des promoteurs-constructeurs genevois (APCG), et Thierry de Haan, président de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier Genève (USPI Genève).
Lors des dernières votations du 24 novembre, le projet de modification du droit du bail visant à durcir les règles de sous-location a été rejeté. Que vous évoque ce résultat?
Thierry de Haan:
On pouvait s’y attendre car le droit du bail, comme toujours, semble intouchable. Même si les enjeux de ces votations n’étaient pas majeurs, il est toutefois dommage que le projet ait été refusé. De manière générale, le fait d’encadrer la sous-location par des règles plus claires aurait été bénéfique pour tous. On voit d’ailleurs qu’en Europe, comme en Espagne récemment, la population s’oppose désormais frontalement aux plateformes qui, comme Airbnb, pourrissent le marché. Finalement, en refusant ce projet, les locataires se retrouvent encore davantage lésés puisque la sous-location et les abus qui peuvent aller avec contribuent à retirer des logements de l’offre de base dont on a urgemment besoin.
Qu’en est-il de la modification de la loi générale sur les zones de développement (LGZD), rejetée également?
Romain Lavizzari:
Nous nous félicitons de ce résultat. Ce projet aurait accordé des droits supplémentaires aux propriétaires de parcelles, qui auraient ainsi pu bloquer la construction de logements dans des zones où la densification est envisagée par la planification cantonale pour répondre aux besoins de la population. Alors que les réserves foncières se font de plus en plus rares, il est capital de pouvoir tabler sur le développement de projets d’habitats dans ces zones, et faire ainsi primer l’intérêt collectif.
De manière générale, comment explique-t-on que les développements immobiliers, pourtant essentiels à la croissance, soient autant entravés?
Romain Lavizzari:
La planification immobilière est un processus long et complexe qui comporte de multiples étapes auxquelles la population peut s’opposer. Ces oppositions, qui deviennent quasiment systématiques, freinent ainsi le développement de projets qui soutiennent et accompagnent la croissance économique et démographique de notre région. Ce contexte rend l’acte de construire de plus en plus difficile, ce qui participe à la pénurie de logements qui sévit actuellement.
Paie-t-on le prix de notre démocratie directe, qui engendre malgré tout son lot de complications?
Romain Lavizzari:
En partie. Si notre système démocratique est unique au monde, et qu’il faut bien entendu le préserver, on peut aujourd’hui constater qu’il engendre certains abus, qui se traduisent notamment par la prédominance de l’intérêt privé sur l’intérêt public. Nous sommes amenés à voter sur tellement d’objets que la partie de la population qui se rend aux urnes tend à se rallier aux injonctions de vote parfois non pragmatiques des partis.
Cette situation contribue-t-elle à faire grimper les loyers de logements déjà rares?
Thierry de Haan:
Oui. Même si, à Genève, les loyers des biens qui se construisent dans les zones de développement sont contrôlés par l’Etat durant une certaine période, on ne peut nier le fait que les loyers genevois figurent parmi les plus chers de Suisse. Globalement, le grave manque d’offre en matière de logement met la population, et les locataires en particulier, sous pression.
Cette situation contribue-t-elle à faire grimper les loyers de logements déjà rares?
Thierry de Haan:
Oui. Même si, à Genève, les loyers des biens qui se construisent dans les zones de développement sont contrôlés par l’Etat durant une certaine période, on ne peut nier le fait que les loyers genevois figurent parmi les plus chers de Suisse. Globalement, le grave manque d’offre en matière de logement met la population, et les locataires en particulier, sous pression.
Quels leviers activer pour remédier au problème?
Romain Lavizzari:
Il manque clairement une meilleure approche collective en matière d’aménagement du territoire avec un narratif clair et ambitieux sur toutes les thématiques liées, à savoir les infrastructures et équipements publics, la mobilité ou encore le développement durable. Les différents acteurs impliqués devraient présenter la problématique différemment à la population, en cessant de se focaliser essentiellement sur les aspects liés au seul enjeu locatif. La pénurie de logements n’étant qu’un des éléments d’un contexte sociétal bien plus large, englobant notamment le maintien des conditions-cadres garantes de la prospérité et de la croissance de notre région.
Sur le terrain, en particulier en milieu urbain, les surélévations d’immeubles peuvent-elles résoudre le problème?
Thierry de Haan:
Les surélévations d’immeubles constituent l’une des solutions sur lesquelles tabler. Mais elles ne permettront pas à elles seules de résoudre la crise du logement. Si cette démarche peut être menée sur de très nombreux biens, il reste toutefois impossible de la concrétiser sur certains bâtiments patrimoniaux protégés. Par ailleurs, d’autres immeubles ne peuvent pas s’y prêter pour des raisons structurelles et architecturales. Enfin, il faut aussi considérer les aspects économiques liés à ce type de projets. Car en vertu de la présente loi sur les démolitions, transformations et rénovations (LDTR), les prix de nouveaux logements aménagés dans les combles ou dans le cadre de surélévations sont plafonnés. Pour un propriétaire, se lancer dans ce type de travaux ne constitue donc pas toujours un projet rentable. Il faudrait encourager ce type de projets plutôt que de l’entraver.
En termes d’aménagement du territoire, de quelles réserves foncières disposons-nous encore?
Romain Lavizzari:
Elles s’amenuisent à grande vitesse. Nous arrivons quasiment au bout des réalisations des grands projets issus notamment de déclassements de zones agricoles. Pour continuer à disposer de terrains constructibles, il faut redéfinir les secteurs du territoire selon leur capacité à accueillir de nouveaux développements, et ce indépendamment de la nature de la zone dans laquelle ils se trouvent. Une fois cette hiérarchisation réalisée, des niveaux de densité minimaux devraient devenir des obligations légales afin de répondre au principe du développement vers l’intérieur, et éviter ainsi de gaspiller cette ressource rare qu’est le sol. Je tiens à rappeler que ce principe a été plébiscité par la population suisse lors de la deuxième révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) en 2018.
Que dire des dynamiques entre les initiatives privées et les démarches étatiques liées à l’utilisation du sol?
Thierry de Haan:
L’étatisation du sol engendre des dérives absurdes. Alors que les initiatives privées sont souvent à l’origine de développements immobiliers pertinents et nécessaires, par exemple pour du logement, le droit de préemption, fréquemment utilisé par les communes, engendre des blocages importants pour des projets pourtant essentiels. Finalement, cela favorise malheureusement le détournement des ressources foncières à disposition.